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Maître de conférences à l’université de Lille, Marion Carrel est codirectrice d’un Groupement d’intérêt scientifique : « Démocratie et Participation ». Auteure de Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires (éd. ENS, 2013).
Vous avez accompagné un groupe d’étudiants en master de sociologie pour une commande du bailleur social SIGH, financée par Habitat en Région, sur le thème de la concertation. En quoi cela a-t-il consisté ?
M.C. Il s’agissait de réaliser un diagnostic social de la cité Ballanger à Fresnes-sur-Escaut, en récoltant la parole des habitants sur leur vécu dans ce quartier en pleine réhabilitation. Notre objectif était d’analyser dans quelle mesure les habitants sont des experts de leur quartier afin de les considérer comme des interlocuteurs potentiels. Les résultats de cette étude nous ont montré que les habitants ont des compétences, qu’ils bouillonnent d’idées et qu’il faut leur permettre de développer leur pouvoir d’agir.
Pourquoi une telle étude ?
M.C. Les habitants veulent être davantage entendus, écoutés et participer à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des politiques publiques mises en œuvre. Pourtant, la participation citoyenne est souvent réduite à de l’information descendante. Les professionnels se tiennent à distance des savoirs sur le terrain, de l’expertise de la population. Ils mettent en place des dispositifs de concertation « minimaux », qui ne modifient qu’à la marge les décisions déjà prises. Or, les citoyens ne sont pas dupes : ils ont parfaitement conscience du manque de volonté de co-construire et de savoir-faire des institutions.
Pourquoi une telle frilosité des institutions concernant la concertation ?
M.C. Cette frilosité s’explique par la crainte de perdre du temps et le contrôle des projets, dans un secteur par ailleurs extrêmement normé. On perçoit une méfiance vis-à-vis des habitants, jugés incapables de se mettre à la hauteur de l’intérêt général. Il y a aussi un manque de connaissance et de pratique dans l’éducation populaire, c’est-à-dire la valorisation des savoirs et des compétences des populations. Il faut tenir compte des particularités locales pour trouver des solutions.
Que faire pour inverser la tendance ?
M.C. Il faut encourager la constitution de collectifs d’habitants, les travaux de groupe à partir de leurs propres connaissances des problèmes ; organiser des débats avec des méthodes participatives où l’on fait se croiser des expertises d’habitants et d’architectes pour transformer les situations complexes en situation de dialogue ; mettre en place des systèmes de contre-expertise et de codécision sur des projets urbains, c’est-à-dire que la population locale vote pour le meilleur projet parmi ceux qui ont été travaillés localement.
C’est une méthode qui demande du temps et des moyens humains. Il est pourtant nécessaire de la mettre en place, car, à long terme, elle permet d’éviter des projets urbains coûteux qui s’avèrent inadaptés à la réalité du territoire et aux besoins des habitants. Elle implique une révolution culturelle et professionnelle.