La cohésion sociale en question(s)

Denis Maillard

Le pacte laïque, promesse de liberté

Denis Maillard a fait des études de philosophie politique. Il est l’auteur de Quand la religion s’invite dans l’entreprise (Fayard) et vient de publier Une colère française (Éditions de l’Observatoire). Il est cofondateur de Temps commun, un cabinet de conseil en relations sociales.

La laïcité est un mot qu’on entend beaucoup actuellement, que signifie-t-il exactement ?

D.M. La laïcité, c’est l’autre nom de notre pacte républicain issu d’un compromis entre la République et l’Église catholique et qui a mis un terme à des siècles de conflits entre les religions. Avec la loi de 1905, dite de « séparation des Églises et de l’État », on s’entend sur le fait que la foi ne fait pas la loi, mais que la loi protège la foi. L’accord tacite de ce texte politique est social : puisque les questions religieuses nous divisent, on les laisse chez soi. La laïcité est un pacte civique permettant de faire cohabiter les croyants et les athées, les pratiquants et les agnostiques, avec une cohésion vis-à-vis d’un objet plus grand que nous et qui est la République. Être citoyen de la République française est ce qui nous est commun.

Sommes-nous aujourd’hui dans une situation particulière par rapport à ce sujet ?

D.M. Oui, depuis l’émergence de l’islam comme une religion installée en France.

 

L’islam est devenu une religion française au même titre que le judaïsme, le catholicisme ou le protestantisme. C’est une réalité et cela pose des questions nouvelles, car des individus affichent leur religion comme une identité qui ne se négocie pas. En outre, l’individualisation de la société encourage les individus à exprimer ce qu’ils sont. Donc ce compromis laïque est remis en question. Pour vivre en commun, il faut au contraire une souplesse identitaire.

 

Cette question s’est posée pour la première fois en 1989 avec l’affaire du voile de Creil où un proviseur de collège avait demandé à deux élèves de retirer leur voile en classe. Cette affaire a abouti à la loi de 2004 interdisant tout signe religieux ostensible à l’école, mais elle a posé à nouveaux frais la question de la place du religieux dans la société. Or, la laïcité, c’est une liberté qui permet aux personnes de pouvoir jouer sur toutes les facettes de leur identité. C’est précieux et cela fait la différence avec le modèle anglo-saxon où les individus sont assignés à leur communauté qui va coexister avec d’autres dans un modèle de tolérance. Nous devons, sans cesse, reposer le cadre de la laïcité et le repréciser.

Dans les enquêtes, les Français sont nombreux à dire qu’il y a beaucoup de tensions à propos de religion, notamment entre laïques et musulmans. Est-ce une réalité ?

D.M. En France, cela ne se passe pas si mal que ça ! On ne recense pas d’attentat antimusulman alors qu’il existe des crimes antisémites. Ici, malheureusement, on peut encore mourir parce qu’on est juif, mais on ne meurt pas parce qu’on est musulman. La question n’est pas là. La meilleure preuve est que 80 % des Français pensent que le cadre laïque ne se discute pas. Pourtant aujourd’hui, on entend deux types de discours. L’un nous annonce que l’on est assiégé par l’islam radical qui aurait un projet politique contre la France ; et l’autre se plaint que la France est un pays raciste et antimusulman. Les deux discours cachent des agendas politiques qui n’ont rien à voir avec la laïcité. S’il y a un problème de cohésion sociale en France, il n’est pas d’abord d’ordre religieux.

La laïcité est tout de même une condition nécessaire à la cohésion sociale ?

D.M. Oui, mais elle ne suffit pas. La France doit marcher sur ses deux jambes. La première est la laïcité, la liberté de conscience qui permet d’échapper à sa communauté si on le souhaite. La seconde est sociale. Si l’ascenseur social est bloqué, cela rend l’émancipation impossible. On se retrouve assigné à résidence communautaire. On ne peut plus échapper à sa famille, à son clan et la promesse de liberté via la laïcité devient un vain mot. En 1945, l’instauration de la Sécurité sociale a permis de ne plus se poser la question du risque – si je tombe malade, si je perds mon emploi, si je suis à la retraite… – et donc de ne plus dépendre des seules solidarités traditionnelles : le clan, la famille, les voisins, les amis, le quartier.

La solidarité est devenue politique, ce qui autorise les individus à s’émanciper de leurs communautés. La laïcité fonctionne de la même façon : si l’on souhaite avoir la possibilité de croire ou ne pas croire et échapper à sa communauté, il faut avoir un travail qui permet de vivre dans le quartier que l’on a choisi et de s’émanciper.

Quel peut être alors le rôle des bailleurs sociaux ?

D.M. Les bailleurs sociaux ont un sacré défi à relever qui va au-delà de leur mission initiale consistant à loger les personnes fragiles. Ils doivent avoir un projet social pour créer de la mixité et tenir les promesses de liberté contenues dans le pacte laïque. Ils doivent aussi s’emparer des questions de mixité, de cohésion et de laïcité. Ils en ont conscience, car il n’y a pas de question laïque sans question sociale. Ce sont les deux faces d’une même pièce.

Denis Maillard - Le pacte laïque, promesse de liberté