La cohésion sociale en question(s)

Didier Machet

Faire de nos locataires des citoyens

Depuis 25 ans dans le logement social, Didier Machet est directeur général de Habitations Haute-Provence à Digne-les-Bains – unique bailleur social sur le territoire – depuis 2018.

Les Alpes-de-Haute-Provence sont un département attachant parce que composite. Il est à la fois dynamique et enclavé, urbain, rural et montagneux. Le long de la Durance, Sisteron, Château-Arnoux, Manosque sont des villes dynamiques avec une population active. Sisteron, célèbre pour sa citadelle, au-delà d’être le passage entre le Dauphiné et la Provence, ouvre la porte entre les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence à une population montagnarde. Digne-les-Bains, la préfecture, ville administrative, est un peu excentrée de l’activité économique et se caractérise par une population vieillissante.

 

À Digne-les-Bains, nous logeons 30 % de la population : c’est considérable. Ce sont pour la plupart des ménages modestes, arrivés dans le logement social dans les années 1970. Aujourd’hui une partie de nos locataires d’origine quittent leur logement pour acquérir un bien. Nous accueillons également les « nouveaux publics du logement social » : des personnes avec des problématiques d’intégration et pour lesquelles le logement social est un facteur de rebond, voire d’insertion. Il y a aussi le public des demandeurs d’asile que nous devons loger pour le compte d’associations. Notre légitimité est sociale. Être bailleur social ne consiste pas seulement à entretenir notre patrimoine, gérer les abords et assurer une maintenance technique ; notre métier possède une autre dimension, un supplément d’âme. C’est tout l’enjeu du logement social et c’est notre mission : l’intégration dans la République de populations fragilisées par la vie.

 

À Digne-les-Bains comme ailleurs, l’État se désengage, l’évêché est parti, même les trains n’arrivent plus ici. Nous sommes le dernier maillon du lien social, le dernier rempart. Notre entreprise ressemble à son territoire avec ses qualités et ses freins, sa culture et son histoire. C’est un territoire qui lutte contre son déclin programmé où les grandes évolutions du logement social n’ont pas été questionnées. Nous n’avons pas perçu l’évolution culturelle de nos publics, car, il y a peu, nos locataires étaient des publics populaires et notre mission s’apparentait à l’activité d’un bailleur privé. Aujourd’hui, notre nouveau public fragile est en difficulté et nous devons lui proposer des services d’accompagnement : il est impensable de ne pas avoir de chargés de développement social en complément de conseillères en éducation sociale et familiale pour accompagner certains ménages à gérer leur budget ou de ne pas proposer de service au maintien à domicile des personnes âgées. En lien avec les départements, il nous faut trouver des marges financières, mais aussi des idées pour répondre à ces enjeux.

 

Tout est à inventer et il nous faut aller encore plus loin ! Nous devons passer une autre étape : celle de l’innovation sociale. Nous devons être initiateurs et producteurs de projets. Par exemple, proposer un logement à bas loyer à des étudiants qui, en échange, aident dans leurs devoirs les enfants des locataires. C’est gagnant-gagnant : nous accueillons des étudiants et créons une mixité au sein d’une résidence.

Nous avons, dans l’une de nos cités, des problématiques de deal et d’incivilité. Pour avoir des réponses adaptées, il faut que parallèlement aux travaux, un responsable de site et un chargé de développement social (un métier qui n’existait pas il y a vingt ans) créent des actions avec des locataires. L’objectif est de proposer un projet de site et une charte de bien vivre ensemble.

 

Notre profitabilité n’est pas seulement économique : pour qu’il y ait de l’harmonie dans nos résidences, il faut être en capacité de créer de la cohésion. Et cela peut se mesurer : moins de vitres cassées, moins de voitures qui flambent, moins de personnes en désinsertion.

 

Les locataires ne sont ni des assujettis ni des usagers. Ce sont des clients. Je dis régulièrement à mes collaborateurs qu’une question doit les guider au quotidien : « En quoi aujourd’hui, par mon activité, ai-je amélioré la qualité de vie de mes clients ? » Pour moi, la cohésion sociale consiste à regarder dans la même direction quelle que soit sa place dans l’organisation, et c’est à nous de la construire et l’accompagner. Notre rôle est éminemment républicain, faire de nos locataires des citoyens avec des droits, des devoirs dans la discipline collective et le respect du bien commun.

 

Chacun à sa place et dans son rôle va participer à ce projet et c’est cela qui crée de la cohésion.