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Architecte, diplômé de l’École d’architecture et de paysage de Bordeaux en 1997, Mathieu Laporte conçoit des logements pour des bailleurs privés et sociaux.
Pensez-vous, à l’instar de Catherine Jacquot, la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes, que « le droit à un logement de qualité est une urgence pour la cohésion sociale » ?
M.L. C’est une évidence : il ne peut y avoir de cohésion que si chacun est bien logé. Vivre dans un immeuble n’est pas toujours chose facile, cela demande beaucoup de compromis et l’architecture ne doit pas être une contrainte supplémentaire. L’essentiel de mon travail ne consiste pas uniquement à créer des logements, mais à tout mettre en œuvre pour que chacun de mes projets soit le plus agréable à vivre, qu’il offre les meilleures prestations, les meilleures orientations. En un mot : qu’il soit le plus généreux possible afin que les gens investissent les lieux et cherchent à connaître leurs voisins. Si un immeuble est accueillant, les locataires mettront des plantes au balcon et envisageront de s’y établir, de créer du lien. Dans le cas contraire, ils n’y resteront pas. La qualité architecturale joue donc un rôle essentiel.
Comment crée-t-on un environnement digne et propice à l’épanouissement de tous ?
M.L. La chose la plus importante est que chacun puisse s’identifier au lieu où il habite et donc s’y reconnaître. Pour cela, il faut une harmonie d’ensemble. J’ai construit à Rennes des bâtiments originaux : deux tours jumelles et circulaires de onze étages sur un socle entièrement végétalisé. Tous les appartements ont une vue très dégagée avec double ou triple orientation pour que chacun puisse bénéficier de la lumière naturelle. Ces tours ont trouvé leur place dans la ville, car les gens se les sont appropriées. Ils se revendiquent de ce lieu qu’ils appellent les « tours rondes ».
Les bâtiments doivent avoir une identité forte pour que l’on puisse s’y attacher. Dans les années 1970, on a construit massivement des bâtiments identiques pour répondre à une urgence. Mais les études sociales ont démontré depuis les difficultés que cette architecture a révélées : de la sectorisation, une identité brouillée, une impossibilité à se revendiquer d’un lieu. En ce sens, l’architecture est l’une des bases de la cohésion sociale.
Quand un bailleur social vous confie un projet, quel espace réservez-vous à la cohésion sociale parmi les différentes contraintes d’ordre économique ou environnemental ?
M.L. Dans un projet architectural, la cohésion ne doit pas être un « plus » qu’on prend en compte si le budget l’autorise. Elle doit être à la base du projet. En donnant forme à l’environnement quotidien, l’architecture conditionne les relations entre les individus et cela n’échappe pas aux bailleurs sociaux. Nous tâchons de résoudre en priorité les contraintes lourdes : les questions thermiques, acoustiques, et plus l’opération est importante, plus le champ des possibles est large. Nous proposons alors des prestations susceptibles de créer du lien : un grand hall avec du mobilier qui invite à s’y attarder, un jardin partagé, une salle conviviale où mettre un téléviseur pour regarder ensemble les compétitions sportives, et pourquoi pas une kitchenette pour organiser des fêtes. Même l’architecture de la cage d’escalier est très importante : elle peut être un espace de circulation propice à la rencontre. Nous cherchons également à valoriser les toitures en les végétalisant, en prévoyant un espace de jardinage pour les locataires. Nous avons installé une serre dans la cour d’un immeuble ; l’objectif était de créer un espace apaisant et faciliter les échanges autour des plantes. Nous offrons toutes ces opportunités de rencontres. Si les locataires ne souhaitent pas s’en saisir, c’est une autre question, mais l’absence de proposition crée toujours un manque de cohésion.
L’architecte doit-il avoir une approche humaniste ?
M.L. C’est certain ! L’humain est au centre de nos préoccupations. Le moindre détail est important. Du point de vue des matériaux, de la taille des terrasses, de l’espace, on ne fait pas de différence d’architecture pour le privé (qui va acheter) et le social (qui va louer). On tient à ce qu’il n’y ait aucune distinction. Cela aide considérablement à la cohésion sociale. Reprenons l’exemple des deux « tours rondes » de Rennes. Elles abritent 85 logements : 75 % sont en accession libre et un quart en accession sociale. Pour autant, elles sont absolument identiques. Quand on n’a pas les moyens d’acheter son logement, on peut se sentir différent, discriminé par sa situation financière et se mettre en retrait. Les liens se tisseront entre les gens si tout le monde y trouve son compte, car les inégalités génèrent des frustrations qui abîment les relations. En tant qu’architecte, l’idée qui me porte quand je crée une résidence, c’est qu’elle devienne un vrai village.